Comme vous pouvez le constater, j'ai un an de plus que certains autres premiers années. Je vous vois déjà venir, n'allez surtout pas vous imaginez que je n'étais pas assez bonne l'an dernier et qu'ils ne m'ont pas accepté dans l'école. Loin de là ! Mais parfois, on progresse mieux dans une petite structure avec des entraîneurs qui vous connaissent pas coeur et savent comme vous entraîner. Pour moi, c''était ça. Mon coach, il me connaissait par coeur, il savait exactement quels mots me dire et à quels moments. Et puis comme je n'étais pas en cours l'an dernier, j'avais des entraînements rien que pour moi. Le rêve en quelques sortes. Du coup, je ne voyais aucune raison de quitter ma structure l'an dernier, surtout que je me sentais très bien à vivre chez mes parents, ne pas avoir à me soucier de mes repas et de mon linge.
Et puis l'an dernier j'ai eu envie d'autre chose. D'indépendance surtout. Et puis la Southern Cross University m'avait toujours tendu les bras, à à peine quelques kilomètres de l'endroit où j'avais pu grandir. Cela faisait déjà de nombreuses années qu'ils avaient entendu parlé de moi, ils connaissaient très bien ma motivation et ma culture de la gagne. je n'eus donc aucune difficulté à passer les premières étapes d'entretiens, dossiers et tout le bazard. Pour ce qui est du test, je connaissais déjà la majorité des filles avec qui j'allais nager. Sauf exception, nous avions le même âge et nous avions déjà nagé ensemble, les unes contre les autres. Pas de stress particulier donc. Je voulais juste, comme d'habitude, être meilleure que les autres. Ce que je fis ce jour là, étant simplement dépassée par une fille plus âgée que moi. Sans aucune difficulté, j'avais gagné ma place dans cette école. Ou plutôt, je l'avais déjà gagné depuis plusieurs années grâce au fruit de mon travail. Ce jour-là, je m'étais simplement contenté de venir la chercher.

" A vos marques ... Hop ! "

Ce n'était qu'un deux mètres d'entraînement mais pourtant, je me donnais à fond. Je n'avais pas envie de me faire battre par qui que ce soit, même à l'entraînement. Comment est-ce que je suis censée me construire mentalement sinon ? Ian Thorpe et Grant Hackett ne sont pas devenus de grands champions seulement grâce à leurs qualités physiques. Y en avait là-haut pour que ça fonctionne. Jusque là, c'est toujours comme ça que j'ai réussi. Je passe en tête en premier vingt-cinq mètres de course. Je suis toujours partie vite. Je suis une jeune fille impulsive et impatiente, depuis que je suis toute petite. Peut-être parce que je suis fille unique et que j'ai toujours eu ce que je voulais et que mes parents ne m'ont jamais arrêté. Attention, je ne dis pas que je suis une fille pourrie gâtée, loin de là, mes parents n'étaient pas forcément plein aux as et ne le sont toujours pas. Non, tout ce que j'ai eu, je l'ai toujours grâce à moi-même. Je me suis toujours plutôt bien entendu avec mes parents, du moment qu'il ne m'interdisait pas quelque chose. Je déteste quand on me bride.

Je sais qu'Alicia Moore est juste sur mes talons, dans la ligne d'à côté. Elle est collée à sa ligne d'eau, pour essayer de prendre ma vague au maximum. Pour qui elle se prend ? N'est pas Jason Lezak qui veut, et je ne suis pas aussi naïve qu'Alain Bernard, malgré tout le respect que je lui dois. En fait, j'ai toujours appris à nager sans trop me soucier des autres. Et même à vivre sans trop de soucier des autres. Encore une fois, n'allez pas croire que je suis une jeune fille égoïste, je collectionne quand même pas tous les défauts. C'est juste que je ne me soucie pas de tout de ce que les autres peuvent penser de moi. A quoi bon après tout, cela ne me fera pas nager plus vite. Les seules conseils que j'écoute, ce sont ceux de mes entraîneurs.

A 100 mètres de courses, je suis toujours devant. Un peu plus loin, je vois sur ma gauche Sofia qui pioche et qui est en train de lâcher peu à peu. Cette fille a pourtant un très bon potentiel mais elle ne se donne pas les moyens de ses ambitions. Moi c'est tout le contraire : je suis très ambitieuse, peut-être même trop d'après certains. C'est peut-être horrible à dire, mais je suis prête à tout pour gagner et être la meilleure, quitte à écraser les autres sur mon passage. Les autres, c'est à dire tout le monde, amis comme ennemis. Après tout, il faut savoir ce que l'ont veut, non ? Si on nous a laissé entrer dans cette école, c'est surement pas pour gâcher nos chances. Mais sinon, je vous assure que j'ai quand même des amis. Du moment que vous n'essayez pas de me mettre sur la touche ! D'ailleurs, en général, mes meilleurs amis sont tout sauf des nageurs. J'aurais trop peur de devoir finir par les détester.

Désormais, mes jambes commencent à me faire mal, ça tire derrière les mollets. Pourtant, il me reste bien cinquante mètres de courses encore. Et même si je suis plutôt une nageuse de bras, je dois continuer à assurer sur les jambes. Je vous vois déjà venir : non, ce n'est pas parce que je suis sortie en boîte hier que j'ai mal comme ça. Pourquoi est-ce que tout le monde croit que depuis que je sors plus, je fais moins attention à ma carrière ? Ça n'a strictement aucun rapport. En plus, je suis pas rentrée tard. On est juste allé faire un tour en ville avec Lola, voir deux-trois copains, rien de plus.

Maintenant, ce sont mes bras qui commencent à tirer. Pourtant, c'est à cet instant de la course que je dois prendre le plus d'eau. La main loin devant, fixation du coude, poussée loin derrière, levée du coude le plus haut possible pour envoyer la main le plus loin possible devant ... Ce même geste que je dois répéter malgré la douleur, de plus en plus présente. Non, Alicia Moore ne me passera pas devant, c'est mort. C'est pas cinq shooters de vodka et un peu de whisky qui vont faire la différence, promesse d'O'Hara. Vous connaissez Scarlett et sa détermination légendaire ? Je suis encore pire.

Je touche enfin le mur du bout des doigts. La délivrance, je peux enfin relâcher la pression. Je relève rapidement la tête vers mon entraîneur pour avoir le verdict. Je sais que c'était chaud sur les derniers mètre de courses mais je ne voulais absolument pas regarder mon adversaire, je n'étais concentrée que sur ce foutu mur que je devais atteindre. Petit à petit, mon souffle reprenait son rythme normal.

" Moore, c'est vraiment pas mal, 1'59"56. O'Hara, 2'00"07. Tu peux filer à la douche, c'est fini pour toi pour aujourd'hui. "

Il me virait de l'entrainement, comme ça, devant tout le monde. J'aurais bien répliqué mais si j'avais bien un principe, c'était de ne jamais contredire mon entraîneur. C'était d'ailleurs la seule personne à qui je ne répliquais jamais rien. Je retirais rapidement bonnet et lunettes avant de ma hisser avec la force de mes bras en dehors du bassin. J'avais plus qu'une envie, filer dans la salle de musculation. Il ne devait pas y avoir grand monde à cette heure là. Ou bien d’appeler Kale, mon petit ami. Mais c'était impossible : l'inconvénient de sortir avec un garçon qui vit de l'autre côté du globe, c'est qu'on doit toujours vérifier l'heure local avant d'appeler ... C'est en arrivant au douche que je croisais Jeremiah. Mon ex, bande d'incultes. Depuis que l'on s'était retrouvé ici, dans la même université, chacune de notre rencontre était plutôt tendue. J'avais tantôt envie de l'envoyer chier, tantôt envie de lui sauter dessus comme à la belle époque. Bizarrement, à cet instant précis, c'était plutôt la première hypothèse qui avait mes faveurs.

" Un conseil, ne dis rien. Rien du tout. C'est pas le moment. ", dis-je, en le regardant droit dans les yeux.

Devant son regard étonné, je filais directement en direction des vestiaires. Une douche bien chaude et et SEULE. Merci mon dieu.